29 juin 2006


Didon & enée


Remember me, remember me..." ("Souviens-toi de moi...") : la dernière plainte de Didon l'abandonnée s'est exhalée dans un souffle. La grande Jessye Norman est restée immobile, de dos, dans les habits de lumière de la reine de Carthage, tandis que le choeur en déploration puis le lent postlude orchestral lui faisaient un cortège funèbre.
Moment puissant, moment magique, que la cantatrice américaine a habité de tout son art. Cruauté du temps qui passe : en choisissant un programme très exposé vocalement, inoubliable dans le Didon et Enée de 1984 à l'Opéra-Comique n'a pu en cacher les outrages (intonation basse, décoloration du timbre et ligne incertaine).
Magistrale cependant dans Le Château de Barbe-Bleue, de Bartok, il y a quelques jours, la cantatrice avait subjugué (Le Monde du 15 juin). Il y avait alors l'enveloppement rutilant de l'orchestre de Bartok et une prosodie récitative propice aux nouvelles intermittences de cette voix exceptionnelle.
MAGICIENNE TRASHY
Aux côtés d'une telle présence en scène n'ont démérité ni le bel Enée de Russell Braun (Oreste de grande classe dans Iphigénie en Tauride, de Gluck, joué jusqu'au 10 juillet au Palais Garnier), ni les dames d'honneur, Erin Wall et Gillian Webster. De même la magicienne trashy de Felicity Palmer et les vibrionnantes Salomé Haller et Emmanuelle Goizé en sorcières.
Quant aux Nuits d'été, de Berlioz, données en première partie, on ne se lassera pas de réécouter celles que Jessye Norman grava avec Colin Davis et l'Orchestre symphonique de Londres, dans le double album de mélodies françaises justement réédité chez Philips.
Ardeur, finesse et sensibilité, les Choeurs et l'Orchestre des musiciens du Louvre-Grenoble ont été à la hauteur de leur réputation. Dans Gluck notamment, dont les extraits d'Orphée et Eurydice, en ouverture de concert, ont été un beau et pur moment de musique.

15 juin 2006

sorties depuis,...
14 juin au TCE,

Éclectique Philharmonie de Vienne
Dernière apparition de la saison au TCE, la Philharmonie de Vienne se montre éclectique avec du Mozart, un compositeur auquel cette phalange donne une sonorité unique et du Chostakovitch. Pour passer de l’un à l’autre, elle a convié le chef néerlandais Bernard Haitink (notre photo) qu’elle connaît bien. Du compositeur salzbourgeois, les Viennois joueront la symphonie no 32 et le 1er concerto pour flûte avec en soliste Wolfgang Schulz. Du Russe, le maestro batave dirigera la 10e symphonie, composée un peu après la mort de Staline et sur laquelle planent des ombres. Créée en 1953, elle a rapidement conquis l’Occident grâce à des chefs comme Stokowsky, Mitropoloulos et Ormandy.
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04 juin 2006

Ce qu’il faut pour être heureux
Il faut penser ; sans quoi l’homme devient,

Malgré son âme, un vrai cheval de somme.
Il faut aimer ; c’est ce qui nous soutient ;
Sans rien aimer il est triste d’être homme.
Il faut avoir douce société,

Des gens savants, instruits, sans suffisance,
Et de plaisirs grande variété,Sans quoi les jours sont plus longs qu’on ne pense.
Il faut avoir un ami, qu’en tout temps,

Pour son bonheur, on écoute, on consulte,
Qui puisse rendre à notre âme en tumulte,
Les maux moins vifs et les plaisirs plus grands.
Il faut le soir, un souper délectable,

Où l’on soit libre, où l’on goûte à propos,Les mets exquis, les bons vins, les bons mots.
Et sans être ivre, il faut sortir de table.
Il faut, la nuit, tenir entre deux draps

Le tendre objet que notre cœur adore,Le caresser, s’endormir dans ses bras,
Et le matin, recommencer encore.
Voltaire.



Merci à cossaw pour cette citation fort à propos pour mois ces jours çi


03 juin 2006

L'apaisement



La blessure,

Et puis tu es revenu. Ton sourire était là comme une main tendue, tes yeux bleus étincelants d’assurance.
Sûr de ta force, sûr aussi, finalement de la force de notre amour. Sans un mot, juste par ton regard, tu me démontrais que tout nous séparait et tout nous rapprocherait, toujours. Alors que je t’avais quitté, alors que je trouvais la force de continuer dans la douleur de la séparation, tu m’enveloppais du regard, tu me ramenais à NOUS; tout entier dans ta main. Un rien. Un tout, avec toi.
Moi, je restais là pantois, petit, sale ; rempli de mes doutes. Honteux que tu viennes ainsi me montrer le chemin, me montrer que nous existons encore et que nous avons encore une route en commun à faire. Furieux de me voir dépossédé de ma douleur, celle de celui qui reste, celui qui est délaissé. Conquis, vainçu, heureux de cette main tendue, heureux de ce retour, même si rien n’est réglé même si rien n’est dit. C’est comme une tornade qui balaie tout. Nous existons toi et moi, notre amour est entier, fort, unique. Nous restons dans nos différences, toi dans ton incapacité à le démontrer, à donner, à répondre à mes attentes, mais dans la certitude du réel. Moi avec mes doutes, mon besoin de démonstration, de vivre pleinement et à fond comme une passion, une passion éternelle.
Nous aurons d’autres crises, nous aurons d’autres souffrances. Tu t’éloigneras de moi, encore je douterai de ta sincérité, encore je demanderai plus que ce que tu peux me donner, encore, sûrement, tu me donneras une leçon de sérénité.
Ensemble mais pas encore, comment l'ai-je si vite oublié?
Juin 1989, TIEN AN MEN


3 juin 1989, le " tremblement de terre " de Pékin
Une lointaine silhouette en chemise blanche, sac plastique à la main, face à une colonne de chars. Le premier tank, indécis, tente de contourner l’homme, campé devant lui, immobile, opposant sa seule volonté à l’armée, qui tient le haut du pavé de l’avenue Chang’an.
Une marée humaine en liesse, rougie par une multitude de banderoles écarlates claquant dans le vent, qui balaie la première grande manifestation étudiante du Printemps de Pékin, le 27 avril 1989. Au petit matin, c’était un timide cortège qui était parti de l’université de Pékin (Beida), s’épaississant au fil des barrages policiers franchis, pour arriver place Tien an Men, en une vague déferlante, conquérante et adulée par une foule de Pékinois, massés sur les trottoirs.
Des tentes montées à la diable sur cette même esplanade géante, où l’on s’enivre de mots, avec des gamins aux fronts enserrés d’un bandeau blanc qui reçoivent, tel l’empereur de cet empire céleste, l’hommage de leurs aînés venus de toutes les entreprises de la capitale.
Puis ce sont des cris déchirant la nuit, celle du 3 au 4 juin, quand, un peu après minuit, les nouvelles de l’ampleur de la répression écrasent la confiance des occupants de la place. L’armée a tiré sur le peuple, et la Chine a changé de visage. Les militaires bloqués depuis quinze jours aux portes de la capitale par les Pékinois ont pris d’assaut les grandes artères, mitraillant sur leur passage ceux qui s’opposent à leur avancée.
4 juin 1989. Un jour poisseux se lève sur Pékin, resté sans sommeil, cité violée au cours d’une longue nuit apocalyptique, rythmée par les salves des armes. Les mots se sont envolés. Seuls restent, avec le silence pesant qui enveloppe la ville, des regards lourds d’incompréhension et de haine. Le ciel est noir comme les grands draps de deuil qui flottent sur les grilles de l’école normale supérieure.
Quelles images, livrées dans le désordre, sont à retenir de ces cinquante jours de Pékin qui ébranlèrent la Chine ? Les unes ont fait le tour de la planète. Il en reste d’autres plus intimes fixées dans la mémoire : des rencontres chuchotées dans les inhospitaliers dortoirs de Beida ou dans la touffeur sous les tentes de Tian an Men, des visages happés dans un cortège le temps de quelques questions, et pour lesquels même un nom capté à la hâte ne brise pas l’anonymat.
Des leaders se sont imposés : c’est Wu’er Kaxi, qui s’agenouille sur les marches du siège de l’Assemblée populaire, suppliant le pouvoir d’accepter la pétition des étudiants. Dialoguer, c’était ce que réclamaient essentiellement les manifestants. C’est aussi Wang Dan, bégayant ses premiers discours publics dans un mégaphone sur la place du Triangle à Beida, devenue un véritable forum au centre du campus.
Il y eut des images et aussi des bruits, des sons : L’Internationale reprise à pleins poumons, rythmant les défilés gigantesques, ou plus funestement, à l’aube du 4 juin, la marche de l’exode des étudiants quittant la place en une longue chaîne humaine ; le hurlement des sirènes, lors de la " révolution des ambulances ", lorsque la population de Pékin se mobilisa, solidaire des étudiants en grève de la faim ; le roulement des chenilles de chars qui labourent les rues laissant des sillons si profonds que des mois durant, voire des années, les cicatrices du macadam feront vibrer les voitures dans une douloureuse complicité du souvenir.
Aux crépitements des armes, aux cris de douleur des blessés, à ceux de colère de la foule qui incendièrent quelques tanks succède la chape de silence des jours sombres de la répression qui suivirent l’intervention militaire. Dix jours plus tard, le 14 juin, la publication d’un avis de recherche assommait Chinois et observateurs étrangers. La liste des personnes recherchées comportait vingt et un noms, ceux des étudiants tenus responsables des troubles " pour leur participation au Syndicat autonome étudiant ". On y retrouvait Wang Dan en tête, Wu’er Kaxi, Chai Ling, etc. La moyenne d’âge des intéressés n’atteignait pas vingt-quatre ans. Était-ce vraiment eux qui avaient tant effrayé le régime ?
" Le mouvement n’a jamais été dangereux pour le pouvoir ", a toujours assuré M. Wu, cadre d’un organe de presse officielle. " Si on en est arrivé à ce point, c’est bien à cause des évidentes dissensions au sein du pouvoir, engendrées par les réformes économiques et l’ouverture vers l’étranger. Avant les manifestations, tout baignait dans l’opacité. Le mouvement de contestation a fait apparaître les controverses au grand jour et le pouvoir en était affaibli. Ce qui est jugé comme intolérable en Chine parce que assimilé à une perte du mandat du Ciel, selon la tradition impériale. " C’est ainsi qu’au matin du 19 mai 1989, les larmes aux yeux, Zhao Ziyang s’est rendu auprès des grévistes de la faim place Tian an Men, et a présenté ses excuses aux étudiants pour être " venu trop tard ". Il venait d’être limogé de sa fonction de secrétaire général du PCC. Le soir même, son rival, le premier ministre, Li Peng, décrétait la loi martiale, prélude à la répression.
" On espérait une réforme politique ; nous avions des revendications concrètes et voulions dialoguer avec le gouvernement ", affirme aujourd’hui encore Cai Chongguo, ancien chercheur en philosophie de l’université de Wuhan, réfugié en France depuis 1989.
Dix ans après, les ondes sismiques de ce " tremblement de terre " sont-elles encore sensibles ? Pour Wu, " ce mouvement est une page qu’on ne peut déchirer. Tout le monde a été marqué ; la leçon doit être tirée pour les gouvernants et pour les gouvernés. Le mouvement de 1989 fait partie du réveil historique de la Chine ", ajoute-t-il. " Tian an Men était aussi une démonstration de rêve des jeunes, qui demandaient la démocratie et se battaient contre la corruption. " " Il y avait dans ce mouvement l’honnêteté, quelque chose qui est devenu rare en Chine ", nous confie cette enseignante d’université, membre du PCC et prise de doutes. " Pourquoi étions-nous devenus un parti qui se dressait contre le peuple et les étudiants ? Ce n’était plus le même parti, celui auquel j’avais autrefois adhéré. "
La contestation de la rue s’emparait des grands problèmes auxquels étaient confrontés le pouvoir et l’ensemble de la société. La libéralisation de l’économie, la corruption à grande échelle, la remise en cause d’un système social garantissant l’emploi à vie, les inégalités croissantes des revenus, exacerbaient les frustrations d’autant plus fortement que les libertés d’expression à tous les niveaux restaient bafouées. La très controversée Chai Ling, elle-même, avant de devenir la " Pasionaria de la démocratie " de Tien an Men, contestait publiquement le bien-fondé des réformes telles qu’elles étaient menées, " génératrice, déclarait-elle alors, d’une prospérité économique superficielle et inégalitaire ". Mais beaucoup de gens en dehors de la Chine ont voulu voir dans la contestation de 1989 une extension des appels à la démocratie qui traversaient alors l’Europe de l’Est. " Les étudiants ont érigé une " déesse de la démocratie ", copie de la statue de la liberté à New York ; ils ont utilisé les symboles occidentaux non pour renverser le système et mettre en place une démocratie multipartite, ils voulaient seulement le réformer en dénonçant la corruption et le népotisme ", explique l’historien Jeffrey Wasserstrom, de l’université d’Indiana, auteur d’un ouvrage sur la contestation étudiante en Chine au XXe siècle. Pour ce chercheur, " les causes qui ont produit le mouvement étaient intérieures et sont à puiser dans la décennie qui venait de s’écouler ".
" Que voulions-nous ? a résumé quelques années plus tard Wu’er Kaxi : des chaussures Nike, du temps libre pour sortir avec nos copines, discuter librement entre amis, et le respect. " Le " tube " du rocker Cui Jian (" Tu ne veux pas venir avec moi, parce que je ne possède rien... Nous n’avons plus de but, plus d’idéal, nous n’avons rien. ") a bercé durant cinquante jours les étudiants grévistes de la place Tien an Men.