22 septembre 2005


HerveGuibertangepourlagloire

L’histoire de Hervé Guibert est un conte cruel. Ange né pour la gloire, il est mort en plein triomphe, sourire narquois aux lèvres et immense plaie à l’âme.

« La vie est une horreur merveilleuse »
Hervé Guibert disait n’éprouver que répulsion pour sa famille (« j’ai du dégoût à me couler dans cette eau noirâtre qui a baigné ces corps que je hais. » - La Mort propagande) et n’avoir d’affinités qu’avec ses grand-tantes Suzanne et Louise, personnages récurrents de son œuvre (notamment dans ses photographies et dans son roman Les gangsters). Après les études incertaines que lui avaient imposées son père, il a échoué à l’Idech, une prestigieuse école d’audiovisuel
D’abord journaliste au quotidien Le Monde, puis photographe et écrivain, il était l’ami de Patrice Chéreau (avec qui il a écrit L’Homme blessé - César du scénario), d’Isabelle Adjani (dont il attisa la haine en laissant entendre qu’elle était séropositive) et le rival de Marguerite Duras (qui voulait empêcher la publication de ses livres).
En même temps que le philosophe Michel Foucault et que son amant Thierry, il a appris sa contamination par le virus du sida. Thierry avait lui-même eu deux enfants avec Christine, la femme de HG, qu’il avait épousée pour lui faire valoir ses droits d’auteur.
Pensionnaire à la villa Médicis entre 1987 et 1989, il a publié son livre majeur l’année suivante, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, immédiatement suivi du Protocole compassionnel.
À son dernier retour d’Afrique, il a été hospitalisé. Profitant de son internement, il a tenu un journal, Cytomégalovirus, au fur et à mesure qu’il perdait la vue. Il est décédé quelques mois plus tard, des suites d’une tentatives de suicide.
Ouvertement prétentieux, éternel adolescent et incroyablement narcissique (mais qui put prétendre résister à son charme ?), on associe souvent à Hervé Guibert la provocation. Peut-être se sent-on simplement agressé par sa franchise. On le savait entêté et impudique, lui n’hésitait pas à se dévoiler dans le seul but de choquer (il a filmé sa lente et atroce déchéance sur son lit d’hôpital).
Mais, paradoxalement, Hervé Guibert se vantait d’« être chien ». Si l’on en juge par son œuvre, il aimait se soumettre à ses amants et cédait souvent à ses pulsions sado-masochistes.
Un trait de caractère important : Hervé Guibert est resté toute sa vie adolescent. En opposition constante avec un monde qui l’effrayait, celui des adultes, il a toujours nié les valeurs familiales et la raison, en jouant à faire du mal, à lui comme à ses proches. Christine, sa femme et éternelle victime, était sa cible favorite : dans À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et Le protocole compassionnel, c’est elle qu’il blesse. De même, Hervé Guibert portait énormément d’attachement à ses amants : dans son journal, il ne cesse de supplier Thierry pour obtenir des bribes d’affection. Le regard permanent et nostalgique jeté sur sa jeunesse est présent dans la plupart de ses livres. C’est pour lui un moyen de ne pas laisser la maladie le vieillir. Vole mon dragon est une pièce-bilan, elle met en scène trois génération de personnages : l’enfant, le jeune homme et l’homme, apparentés à Hervé Guibert lui-même. L’enfant s’efforce de grandir et l’homme de retrouver sa jeunesse. Le jeune homme, lui, est insouciant. Tous ses personnages convergent vers un sommet unique : la jeunesse éternelle. L’immaturité de Hervé Guibert était sa gloire.
Constamment hanté par la mort et ses désirs nihilistes, il soutenait que « la vie est une horreur merveilleuse » (Le mausolée des amants).
Hervé Guibert oscillait entre la dépression et la complaisance dans son mal. On trouve ainsi dans Le mausolée des amants un nombre important de réflexions sur le suicide et le sens de sa vie.
La veille de son 36e anniversaire, il a voulu mettre fin à ses jours. Vaine tentative... Onze jours plus tard, il rendait l’âme...
La vie comme un jeu de rôle
Avant de se lancer dans son œuvre, il est important de savoir que Hervé Guibert était un menteur. Ainsi - alors que tout lecteur non averti considère Mes parents comme une autobiographie - Hervé Guibert a-t-il donné à naissance à son propre genre littéraire, aujourd’hui repris par Guillaume Dustan et Christine Angot : l’autofiction. La vie comme un jeu de rôle, vérité et contrevérité.
Toute son œuvre romanesque repose sur sa vie et, par la suite, sur sa vie de malade. Ses ouvrages les plus importants, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et Le protocole compassionnel, constituent le compte-rendu de ses « années sida », de la découverte de sa contamination au moment où il a écrit ses deux livres (1989 et 1990).
Impudique, Hervé Guibert a abordé le roman pornographique en écrivant ses propres fantasmes dans Les chiens.
Son œuvre compte également des recueils de courts textes (La Mort propagande, La piqûre d’amour), une pièce de théâtre (Vole mon dragon), un scénario (L’Homme blessé, en collaboration avec Patrice Chéreau), deux journaux (Cytomégalovirus, Le mausolée des amants) et une chanson (Mirage geisho, écrite pour Carole Laure).
Photographe, Hervé Guibert prenait de sordides portraits (toujours en noir et blanc) de ses grand-tantes (par exemple, en leur enfilant une muselière), des statues de cire du musée Grévin, de ses amis, et un nombre important d’autoportraits.
N’abandonnant pas son désir de cinéma, malgré son échec au concours de l’Idech, il a réalisé son unique film à l’hôpital où il a séjourné. Plusieurs fois censuré, La pudeur ou l’impudeur a été diffusé à la télévision un mois après sa mort. À la manière de la télé-réalité, Hervé Guibert filmait son agonie, l’évolution de sa maladie, la répugnance de son corps qui déclinait et ses pulsions suicidaires.
Passé le phénomène commercial déclenché par les sorties d’À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie et sa suite, l’œuvre de Hervé Guibert demeure aujourd’hui un vestige fascinant de son existence et de sa psychologie.
Tel est le personnage qu’il nous a laissé. Puéril, compliqué et torturé, en opposition au monde adulte. Un écorché vif, blessé par ses amours. Martyr-né, martyr voulu.
Dix ans après sa mort, il vit encore.

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