03 avril 2006

Un dernier jardin
T’es-tu imaginé que le jour ne se lèverait plus, que je demeurerais seul
Témoin de notre amitié ?
"On oubliera jusqu’à nos noms,
Nul ne se rappellera notre œuvre.
Notre vie s’effacera comme la trace d’un nuage,
Dissipée telle une brume chassée par les rayons du soleil, vaincue par sa chaleur.
Car notre vie qui se réduit au passage d’une ombre ne sera qu’étincelles sur le chaume."

C'est le printemps, il est temps de s'occuper des plantes, de préparer le jardin pour les W-E paresseux et les soirées entre amis, à la frâiche; et je sais qu'à Paris c'est un luxe rare/
Chaque année à cette période, je pense à Derek, à son jardin dernier plaisirs de sa vie.

Enfer et paradis En décembre 1986, Derek Jarman découvre l'enfer et le paradis. L'enfer: sa maladie. Le paradis: une petite maison de pêcheur, dans le Kent, non loin de Dungeness. Planté entre un vieux phare et une centrale nucléaire, balayé par un vent de force 6, Prospect Cottage est une bicoque laquée noir aux fenêtres jaune citron. Il n'y a pas de jardin. Ici, officiellement, rien ne pousse. Jarman tombe amoureux de ce «paysage frappé par la désolation». C'est ici qu'il vivra ses dernières années. Et son ultime fantaisie artistique. Sur la plage, à marée basse, il ramasse des silex, des débris, du bois flotté, des galets, de la ferraille et des coquillages, qu'il sème ensuite sur un bout de terrain. Il creuse des trous partout, les fourre de fumier, et plante au hasard des aubépines, des coquelicots, des iris, des jonquilles et des bleuets. Prospect Cottage devient une thérapie. «Ce jardin embellit mon sursis», écrira-t-il.
Derek Jarman continue son œuvre. Rien ne peut l'arrêter. L'hiver, vêtu d'une djellaba en laine, il parle à ses plantes et à ses sculptures. Des heures et des heures. Parfois, il quitte ses chats, ses abeilles et son corbeau apprivoisé, le temps d'aller tourner un clip pour Patti Smith, la rockeuse de légende, ou de trousser un documentaire sur le philosophe Wittgenstein. Ou encore de s'évader à Giverny, où il puise un soutien complice dans le jardin de Claude Monet. Chaque fois, il rentre, de plus en plus affaibli, dans son paradis. Ses derniers mots sont d'une poésie pure et déchirante: «Les digitales, qui paradent le long du lac en peloton, comme des soldats, ont une odeur qu'on distingue à peine. Les algues sont revenues...» Les grands rêveurs ne meurent jamais. Dans l'argot des gens de peu, on ne dit pas mourir, on dit «partir sous les fleurs».
Un dernier jardin Derek Jarman éd. THAMES &

2 commentaires:

  1. Anonyme10:31 PM

    je ne vais pas être originale : j'aime bcp cette note. Vivre donc...

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  2. alors achete ce beau livre

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