01 avril 2007


Fervente "Passion" luthérienne au Châtelet le 1 avril 2007
Le Théâtre du Châtelet donne la "Passion selon Saint-Jean" de Bach, avec une mise en images de Bob Wilson dans la plus pure tradition de l'iconographie chrétienne. Office religieux ou spectacle, cette "Passion selon Saint-Jean", composée par Johann Sebastian Bach pour le vendredi saint de l'an de grâce 1724 à Leipzig? Le metteur en scène américain Bob Wilson tranche nettement en faveur de l'office religieux, conformément à la tradition luthérienne qui prévalait dans la citadelle protestante qu'était Leipzig où obligation fut faite par ordonnance, en cette même année 1724, de donner chaque année la "Passion" en musique. Bien sûr, le Châtelet n'est pas une église. Il n'empêche, une impression de ferveur toute chrétienne se dégage du spectacle rien moins que "divertissant" qui y est donné, chargé d'un intense pouvoir émotionnel. Bach n'a jamais composé d'opéra, mais il a conféré à ses oeuvres sacrées une grande force dramatique, particulièrement à "La Passion selon Saint Jean", considérée comme plus théâtrale que son autre "Passion", celle selon "Saint Matthieu". Fidèle à son habitude - pour ne pas dire sa manie - Bob Wilson a composé des tableaux hiératiques et figé, les chanteurs prenant des poses pour accompagner le récit de la Passion du Christ depuis son arrestation jusqu'à sa mise au tombeau. Le tout sur fond de lumières froides et d'éclairages très étudiés. Mais l'exercice semble moins gratuit que de coutume, le metteur en scène renvoyant constamment à la tradition de l'iconographie chrétienne telle que l'ont établie les primitifs italiens comme Giotto dans leurs cycles de fresques. Ainsi la personne du Christ: cheveux longs, courte barbe, torse glabre, tunique recouvrant le bas du corps laissé dans la pénombre. Bannissant l'effusion de sang ou même toute complaisance dans la description du supplice - contrairement au film de Mel Gibson qui insistait sur le côté gore de la mise à mort - Bob Wilson met en lumière le message symbolique de la crucifixion menant à la rédemption. Dans ce dispositif scénique, seules les interventions de la danseuse et chorégraphe américaine Lucinda Childs semblent aussi gratuites qu'absconses. Mais une "Passion", c'est avant tout une affaire de musique. Celle-ci est véritablement céleste. Emmanuelle Haïm, à la tête de son ensemble baroque Le Concert d'Astrée, contribue par la simplicité - voire la rugosité - de sa direction à la célébration du rite luthérien dans tout son dénuement, tel que l'a conçu le "cantor", loin des fastes romains. De même, le choeur représentant alternativement la foule des Juifs qui condamnent le Christ à mort ou la communauté des chrétiens qui le déplorent. Dans cette liturgie, les solistes ont leur part en tant que servants. Parmi lesquels se distinguent le baryton-basse italien Luca Pisaroni qui s'impose en Jésus par une autorité naturelle; l'alto allemand Andreas Scholl qui exprime avec intensité la douleur du croyant; et en évangéliste le ténor slovaque Pavol Breslik qui confère à l'écriture sainte toute sa force.

1 commentaire:

  1. Anonyme10:22 AM

    Je suis un peu ennuyé de poster un message qui va contre ton enthousiasme. Cette version m'a non seulement déçu mais choqué. Si les solistes m'ont semblé tout à fait à la hauteur de leur mission, la direction d'Emmanuelle Haïm et la mise en scène de Wilson m'ont semblées misérables. A ma grande surprise, Emmanuelle Haïm, qu'on a connue mieux inspirée, nous fait entendre une Passion asseptisée, sans relief, "botoxée" et sans âme. Pour monter une oeuvre comme celle-là, il faut en comprendre le sens, et pas seulement l'histoire. Les méditations que sont les chorals permettent de comprendre le drame humain qui lie l'homme au drame du Christ. Il semble que cette dimension essentielle pour ouvrir une interprétation n'a pas été prise en compte.
    Quant à la mise en scène de Wilson, elle est idiote. Masquer un chanteur, le donner à percevoir en ombre, c'est asseptiser encore plus peut-être que ce qu'Emmanuelle HaIm a fait en musique. Le musicien n'est pas une abstraction, une image abstraite. Il a un corps, une âme qui se dit par son corps, ses gestes, son visage.
    Je suis donc non seulement déçu, mais choqué et inquiet de l'avenir de des productions. L'inovation légitime n'autorise pas n'importe quoi.
    La version de l'ensemble Jacques Moderne et Joël Suhubiette au théâtre des Champs Elysées était autrement vivante et forte.

    RépondreSupprimer