29 avril 2007


L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato,
opera de paris -
Cette ode pastorale en trois parties de 1740, avec un livret de Charles Jennens d'après John Milton et une musique de Georg Friedrich Haendel est signée par le chorégraphe contemporain Robyn Orlin. Direction musicale : Willian Christie Orchestre les Arts Florissants

C’est une des partitions favorites de Gérard Mortier, pourtant peu féru de répertoire baroque. Durant son fécond règne bruxellois, il avait déjà suscité un spectacle consacré à L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato, le confiant à Mark Morris. C’était en 1988, au Théâtre de la Monnaie. Presque vingt ans plus tard, voici donc que la chorégraphe sud africaine Robyn Orlin prend son tour pour venir y brûler quelques vaisseaux mais surtout y remporter d’assez jolies palmes. Chorégraphie qui ne raconte pas L’Allegro, ne l’illustre pas non plus d’ailleurs, mais l’habille de périphrases, lui donne des perspectives relativement attendues mais toujours éclairantes et surtout justes. Enfin, sauf pour le Moderato, part maudite de toute façon, banale, d’une plume molle et factice pour le texte. Parfait, aux orties Jennens, surtout qu’à voisiner avec Milton que pouvait-il espérer d’autre ? Oui mais comment rester sourd à la musique qui l’enrobe ? Orlin souligne comme le Moderato retient peu son intérêt, et du coup le nôtre aussi. La chorégraphie si piquante dans l’Allegro, si troublante dans le Penseroso, s’abstient, à un numéro prés pour ce Modéré où les danseurs s’ennuient sur leur patchwork de défroques, avant de les ranger en une immense pile qui, on le sentait venir, s’effondre à l’accord final. Tout cela serait possible si Haendel avait composé le Moderato contraint. Hors il l’a voulu expressément comme l’illustration de la réponse de son siècle – celui des lumières – aux allégories pas si classiques que ça - le romantisme s’y plongera avec délices - de Milton et de son temps. Dans cette œuvre qui se coule parmi les opus de la troisième voie lyrique chez le Caro Sassone, assez rares (Acis and Galatea, l’Ode à Sainte Cécile, et pardon on serait tenté d’y ajouter malgré les grimaces des puristes Il Trionfo del Tempo e del Disinganno), les deux siècles se font écho, s’expliquent en quelque sorte. Plane au dessus de l’étude des caractères ce débat toujours pas clos qui agite l’histoire : le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Rire ou pleurer, se disperser ou se réfréner, l’énergie ou la contenance ? A tout cela le Moderato apporte une réponse médiane qui devrait permettre de passer le temps et d’ouvrir la vraie voie, celle d’une sagesse tranquille et active pourtant. Las, alors que Robyn Orlin abandonne tout avec une certaine lâcheté – puisque je n’y crois pas, que voulez vous que j’en fasse, débrouillez vous en – son vidéaste en profite, évidemment avec sa bénédiction, pour illustrer les propositions de Haendel et de Jennens en nous assénant un medley visuel de toutes les dernières catastrophes : Twin Towers, Tsunami, Attentats à Bagdad. Le procédé est facile, outre que ces invités trop connus de nos écrans n’ont rien à voir avec la musique. Ni avec le sujet d’ailleurs, et pas plus avec la solution proposée. D’ailleurs l’ambiguïté ne s’estompe pas : ces images sont-elles pour nous signifier que si nous ne choisissons pas la modération ces catastrophes reviendront, où pire condamnent-elles la modération comme un fruit de la compromission (plutôt que du compromis, sous-jacent à la philosophie médiane appelée de leurs vœux par Haendel et son librettiste), source de tous les maux de notre temps ? Dommage, car pour l’Allegro les danseurs en dessous colorés pétillaient, et Robyn Orlin trouvaient treize idées à la douzaine, invitant un bestiaire d’un naturalisme charmeur ( Ah ! cet agneau ne tenant pas sur ses deux pattes ! Ces cygnes-flamands roses pour la rossignolade !), habitaient avec un bonheur et une énergie contagieuse une musique qui invite à la danse et où la danse s’invite d’ailleurs tout autant. Et dans le Penseroso, son geste se faisait lyrique, envoûtant, prenant parfois une distance ironique qui indiquait par défaut de quel coté son cœur savait la réponse : de celui de l’Allegro bien sûr. Christie (photo) est chez lui ici, comme d’ailleurs en assez peu de partitions haendéliennes, et d’ailleurs des plus disparates : cet Allegro, Theodora, plus étonnant Jules César. Il respire avec un naturel sidérant toutes les couleurs et tous les états de l’œuvre, sans parvenir à l’incarner avec ce ton légèrement prophétique que seul a su lui conférer John Eliot Gardiner, qui à l’exception de l’un de ses ténors, Martyn Hill, n’avait pas disposé d’une distribution aussi glamour. Toby Spence barytonne un peu trop et son ténor handélien à l’ancienne mode, assez couvert ne convient pas à tous les numéros. Mais le style impeccable, l’anglais divinement sonore et imagé, et cerise, un air du rire désopilant d’énergie le rendent indispensable ici aujourd’hui. Roderick William toujours aussi formidable de présence et de grain sombre devrait se coller aux barytons haendelien, si maltraités sur les scènes. Un très joli et sonore gamin de Tölz, Daniel Krähmer, percutait ses aigus avec déjà le métier d’une vraie diva. Mais la perle absolue, et le prix de beauté, revenaient à Kate Royal : soprano long et fruité, voix exactement placée dans le masque comme on en avait plus entendue venue d’outre-Manche depuis le temps béni des Margaret Price et des Yvonne Kenny, avec une vocalise précise et poétique (son rossignol, d’anthologie), une variété de couleurs de l’aigu le plus adamantin et charnel pourtant, au grave sombre et porté comme seul le pouvait jadis Della Casa. Gérard Mortier ferait bien d’importer à Paris sa Comtesse des Noces et autre Pamina dont Glyndebourne a déjà fait ses délices. Jean-Charles Hoffelé

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