11 mars 2008

Ilsviennentdel'est



Ils ont débarqué depuis longtemps déjà. Il suffit de se promener un dimanche ensoleillé comme aujourd’hui pour s’en apercevoir. Ils se réunissent à certains endroits de Paris, la gare de l’est, la place de la Madeleine. Ils viennent de l’est.
Vous venez de l’est, je vous reconnais facilement avec vos visages comme sculptés à la serpe, votre peau si blanche quelques fois rosie par le froid de l’hiver. Corps maigres, rassemblés près de la gare de l’est ou de la place de la Madeleine, buvant de longues canettes de bière en attendant sans doute le travail pour la journée.
Souvent, je vous écoute, vous observe. Je me laisse happer par la sensualité un peu brute qui se dégage de vos visages si pales, de vos cheveux de paille et de vos yeux couleur de mer. Vous êtes si mecs, si virils, à vous voir tenir une cigarette et la porter à votre bouche, à vous voir là en bande, riant, vous alpaguant les uns et les autres et buvant, buvant des heures durant d’interminables rasades de bière;… et pourtant, pourtant, je voudrais quelques fois partager ces instants avec vous, rire d’improbables blagues rapportées de Moscou ou bien d’ailleurs , vous bousculer en riant, et puis être là, être votre épaule quand l’émotion viendra, quand l’alcool ramènera les flots de souvenirs de la mère patrie. Les paysages enneigés de votre village natal, les visages amis, une copine laissée dont on n’a plus de nouvelles,… Alors, j’empêcherai le froid de ce trottoir, la laideur de cette gare, vous- te gagner. Alors nous serons amis, quelques instants. Comme ce lointain printemps avec Alexander et Victor. Le blond et le brun rencontrés sur les quais de la Neva. Nuits blanches. St Petersburg.
Alexander, Victor, le blond et le brun. C’était il y a longtemps maintenant. C’était du temps d’avant la Russie, du temps des soviets. Quand tout ou presque vous était encore interdit, même si le Pepsi coulait déjà à flots, même si le rideau de fer se fissurait déjà. St Petersburg s’appelait pour quelques mois encore Leningrad. Du temps où il n’y avait rien d’autre faire ces nuits là, ces si longues nuits que de déambuler le long de la Neva. Un lecteur de CD a tue-tête, de la vodka.
Nous nous sommes croisés, moi l’occidental, vous la bande d’amis. Vous fêtiez la fin du lycée, je visitais l’URSS avec ma meilleure copine. Vous écoutiez Madonna. Alexander, le premier m’a alpagué ; il voulait mon polo Lacoste, mes chaussures Nike. J’avais soudain un peu honte, je prenais conscience de n’être qu’une affiche ambulante du monde occidental! je me suis tout d’abord un peu fâché d’autant d’insistance, de ces attouchements sans gêne ! Puis, nous avons très vite sympathisé, la vodka aidant, nous avons dansé, longuement sous cette lumière blafarde, magique des nuits blanches de la baltique.
Alexander, j’ai aimé tout de suite ta longue et mince dégaine, tes yeux grands bleus qui me regardaient, me regardaient… tes mains qui me touchaient, me tripotaient sans cesse. Tu t’amusais de mon trouble ; tu en abusais. Victor, tu étais plus réservé, plus sombre. Si brun, si blanc de peau. Des yeux si bleus. Tu venais de Géorgie.
Je ne me souviens que de vos regards qui valsaient autour de moi, du frôlement de nos corps, de vos mains sur mes bras, autour de mes hanches, autour de mon cou. Je ne sais pas de quoi nous pouvions bien parler. Mon anglais était moyen, le vôtre …
Je ne parlais pas le russe et votre français était à peine scolaire. Mais je me souviens que nous avons beaucoup ri, que nous avions envie de nous revoir. Si Isa n’avait pas été là, je crois que nous aurions fini la nuit ensemble tous les trois.
Nous nous sommes donné rendez-vous pour le lendemain à la porte de mon Hôtel ; l’affreux hôtel Leningrad. Charme stalinien moderne, juste en face du croiseur Aurore.
J’attendais, je vous attendais tous les deux, et Alexander n’est pas venu. Comment vous êtes-vous décidés, à la courte paille ? Tu t’es approché de moi, un sourire malicieux au coin des lèvres. Tu m’as pris la main – come !-
Nous avons marché, marché toute la journée dans cette ville de Leningrad. Tu parlais, tu n’arrêtais pas de parler ! Tu me saoulais d’explications en russe, en anglais ! Je n’y comprenais rien ; je m’en foutais, j’étais bien. Tu me tenais la main tout le temps. Quelques fois tu me prenais par le cou. C’était normal. En URSS, c’était normal. Touchant d’ailleurs, de voir ainsi tous ces soldats se tenir affectueusement par la main dans la rue.
La perspective, Nevsky, les « Champs Elysées » de Leningrad. Déjà des marques étrangères, déjà le luxe occidental étalé le long de ces larges trottoirs. Tu m’as emmené chez « je ne sais plus », en tous cas selon tes dires le plus grand, le meilleur glacier de toutes les russies et à voir la queue devant la porte, on pouvait tout à fait le croire. Avec ton plus grand sourire, toujours en me tirant pas la main, nous avons allègrement doublé tout le monde ! bien entendu tu connaissais la serveuse et bien entendu, elle nous a trouvé une table. Tu as commandé du « champagne », du champagne de chez toi – la Géorgie- nous l’avons bu en dégustant de grandes glaces pleines de crème chantilly. Nous avons bu toute la bouteille de cette infâme boisson trop sucrée. Tu faisais de grands gestes, de plus en plus amples tandis que la bouteille se vidait. Tu me parlais du service militaire, de la caserne que tu devais rejoindre dans quelques jours, de tes craintes à l’idée de cet enfermement, de cette longue parenthèse forcée ; deux ans je crois. Puis, tu as laissé quelques billets sur la table, tu m’as pris par la main. Tu ne parlais plus. Nous avons pris un bus bondé, marché longuement dans un quartier désert, le long d’une rue sans voitures ou presque, de cages d’escaliers n’ayant pas vu de pot de peinture depuis trop longtemps.
Enfin, un escalier monté quatre à quatre, une clef tournée, un appartement dans une triste pénombre, une odeur de choux, partout.
Tu as fermé la porte, tu t’es approché de moi et doucement, tendrement, désespérément ( ?) m’a enlacé ; fort, très fort. Que faire, que dire, rien. Juste passer mes bras autour de ta taille ; fort, très fort et laisser passer l’orage qui grondait en toi. Le temps à passé, ta colère s’est apaisée, tu t’es écarté de moi, tu as enlevé ton polo, découvrant ton torse bien charpenté. De nouveau ta main qui prend la mienne, qui me conduit vers ce qui devait être ton lit, un petit lit dans une chambre pleine de lits défaits, de vêtements éparpillés. Une chambre de garçons, déjà une chambrée. Tu as commencé à me dévêtir, comme pour m’encourager. Puis bien sûr, c’est venu. J’ai aimé très vite ton corps puissant, tes fesses charnues et si poilues, ta queue courte, large et massive. Nus, debout, nos bites dressées dans ce capharnaüm indescriptible, nous sommes partis à la découverte de nous, dans une longue étreinte, danse sans musique, simplement rythmée par nos soupirs, nos bruits de caresses et de succion. Tes mains caressant mes fesses, mes mains passionnées malaxant tes cuisses musclées, puis ta queue, puis tes merveilleuses et longues couilles que je m’amusais à découvrir après t’avoir retourné, tandis que mes mains t’écartaient les fesses, tandis que ma langue explorait ton entrejambe.
Puis, toi en moi, un peu sauvagement, un peu brusquement. Je me souviens de la douleur, des premiers regrets du début car tu n’en faisais pas cas. Le bruit de ton crachat sur ta main. Puis, toi en moi, a ta manière, par à coups, violents, espacés. La journée défilait dans ma tête, l’odeur de choux, les vêtements sales, les vitres sales. Tu as compris. Doucement tu t’es retiré, la tendresse est revenue, les caresses. La sueur des corps, l’abandon. Alors, tu m’as fait comprendre que tu voulais bien de moi, tu voulais, désirais ( ?) ma longue et épaisse queue en toi. Etait-ce la première fois, étais-je le premier. Je ne t’ai pas posé la question, peu importait. Tu as aimé, c’est l’essentiel, tu as souhaité après avoir joui en toi, que nous restions comme cela, longtemps, moi en toi. Le temps que tu jouisses, le temps que tu t’apaises. Nous avons pris une douche brulante, Quand nous sommes revenus dans la pièce, Alexander était là, avec deux autres copains. Sourires, complicité. Nous nous sommes rhabillés sous les gloussements amusés des copains d’Alex. Bonheur.
Nous avons passé, tous ensemble, une nouvelle nuit, le long de la Neva. Madonna avec nous, la vodka aussi.
Le dernier soir. Nous deux dans cet appartement sordide, seuls. Je suppose que tu avait passé le mot. Nous avons baisé bien sûr. Maintenant que je m’étais habituée à ta queue, maintenant que tu savais comment m’aborder, il nous fallait nous quitter. Pour toujours. Etais-ce de l’amour ? Non, juste deux êtres qui se sont croisés au bon moment, c’est tout. Nous avons bu, trop, toute la nuit. Avant de nous séparer, je t’ai remis bêtement, maladroitement, un sac en plastique, dans lequel j’avais glissé mon Levi’s, celui que j’ai porté durant nos jours. Tu m’as donné une ceinture de l’armée rouge. Je l’ai encore. Enfin, au petit matin, tu m’as accompagné jusqu’à la porte de mon hôtel. Ce matin là encode plus moche, encore plus lugubre que d’habitude. Quelques instants encore. Ta main est venue une dernière fois prendre la mienne. Un dernier baiser sans honte devant le garde de l’hôtel. Comme une ultime bravade. Puis, un sourire forcé, tu t’éloignes, tu te retournes, une main se lève. Un adieu. C’est fini. Il ne reste qu’un puissant mal de crâne. Déjà il faut préparer les bagages. Ce soir, je dormirai à Paris.

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