07 février 2010

concert


« Elektra » de Strauss à la Monnaie(BXL)

Distribution de Luxe et intelligence scénique: Koenigs et Joosten pour « Elektra » à la Monnaie. Gorgée de terreur, de douleur, la sauvagerie surgit de l’orchestre, vous cloue au fauteuil, noue vos tripes... et vous laisse pantelant, bouleversé.




Lothar Koenigs a lâché ses fauves de l’orchestre de la Monnaie, éblouissant et moteur tragique de la partition de Richard Strauss. Mais ses instrumentistes, il les dompte aussi vite qu’il les pousse au déchaînement. Il y a eu, à la première de cette Elektra à La Monnaie, des élans suspendus, des pages d’une transparence et d’un lyrisme sensuel, beaux à pleurer, qui humanisaient les pulsions noires des Atrides (Mad du 13 janvier).
A l’unisson de ce déferlement texturé et structuré, la distribution (1) réunissait des voix exceptionnelles, et parmi elle, l’Electre de l’Allemande Evelyn Herlitzius. Puissante, ample, elle affronte les vagues de l’orchestre. Corsée, colorée, elle chante (et non crie, dans la mesure du possible) les rages d’Electre. L’opulence de son soprano peut se fondre dans une sensualité, un désespoir qui, en miroir, rend ses imprécations plus glaçantes. Cette voix-là, nourrie autant de haine que d’amour, Evelyn Herlitzius la domine d’un bout à l’autre, dans une progression très construite, jusqu’à l’anéantissement.
Face à cette hallucinante Electre, la féminité, la lumière, la pulsion de vie de Chrysothémis s’incarne en Eva-Maria Westbroeck, rien de moins! La soprano néerlandaise mêle avec un art irrésistible la souplesse rayonnante et l’exaltation, les éclats qui revendiquent le refus de l’engrenage de la violence. Des duos magnifiques! Et la Clytemnestre de Doris Soffel est tout aussi riche de contrastes, sans lourdeur expressionniste, mais sombre et véhémente, pitoyable et terrifiante. Très belle présence vocale de l’Oreste au lyrisme contenu de Gerd Grochowski, aux cotés de Donald Kaasch (Egysthe), de Franz Masura (le précepteur d’Oreste) et des servantes.

Images fortes

Un tel plateau ne suffit pas à la réussite d’une production lyrique et l’intelligence de la mise en scène de Guy Joosten en est un atout essentiel à Bruxelles, en osmose avec la partition, parfois en dissonance avec le texte littéral. Peu neuve, mais efficace, la scénographie étagée de Patrick Kinmonth oriente l’opéra vers la période fasciste, à l’arrière d’un palais déglingué entre vieux fûts et poubelles.
Electre se terre sous un mirador, sur une méridienne. Plus intéressante est sa vision, qui fait de l’héroïne une future Clytemnestre, et de Chrysothémis une potentielle victime exclue du palais quand Oreste prend le pouvoir après le meurtre de sa mère et d’Egysthe. Autour de cet axe, tout s’organise avec une cohérence implacable de chaque détail à la fois dans le champ du pouvoir, de la tragédie antique et des « arrières-cours » psychanalytiques: gestes en effet de miroir, rires croisés d’effroi et de joie libératrice, rapprochement de deux valises, l’une d’Electre contenant les souvenirs militaires d’Agamemnon et la hache sacrificielle, l’autre avec les bijoux et la poupée de sa sœur.
Et si Oreste tue de ses mains, Electre plante de la même manière la hache dans la porte. Traversées d’images fortes (l’apparition de Clytemnestre à la manière de Sunset Boulevard, baiser incestueux sur monceau de cadavres, etc), l’Electre de Joosten ne meurt pas au paroxysme de sa danse finale, mais sur les genoux de son frère. « L’Amour tue mais on ne peut pas mourir sans avoir connu l’amour », chante-t-elle.

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