29 juillet 2013

Saint Sébastien

Mais comme il est beau !
Il est trop beau. Je veux qu'il chante,
qu'il chante son extrême chant,
tel le cygne hyperboréen
…………………………
Car il est beau !

L'empereur murmure, n'en pouvant plus :

Sois un dieu. Je te ferai dieu.
Tu auras des statues, des temples.
Je t'aimerai.
……………..
Je veux appeler de ton nom
la plus lointaine des étoiles,
ou la plus proche.
Comme il est beau ! comme il est beau ! (hurlent alors les femmes de Byblos)
……………………..
Il se meurt, le bel Adonis !
Il est mort, le bel Adonis !

L'empereur bondit, ivre de prodige, de songe et de création. Entre ciel et terre, il combat, supplie, perd le sentiment :

Il est un dieu ! il est un dieu !
Tu es un dieu ! Je te fais dieu,
moi, le Maître de l'Univers.

Il évoque le sort d'Antinoüs :

Tout est licite à l'Empereur.
Hadrien a déifié
le Jeune Homme de Bithynie
à la bouche mélancolique
Je veux te consacrer un temple.

Il lui promet le triomphe des triomphes :

Tu vas, cette nuit, apparaître
aux yeux du peuple, dans les rues
……………………………
parmi la clameur des cohortes,
au milieu de torches nombreuses
comme mes désirs, sur un char
traîné par des éléphants blancs,
si haut qu'on abattra les Arcs
de Triomphe sur ton passage,
on ouvrira dans les murailles
des brèches pour que tu n'inclines
point ta tiare.

Les promesses de Dioclétien deviennent délirantes, démentielles, mais sublimes, grâce à d'Annunzio. Il le supplie d'accepter la Victoire :

……………………..
tu es dieu, tu es César,
tu es Prince de la Jeunesse :
tu as la puissance et la joie,
la merveille tissée des songes
pour vêtir ton corps ambigu,
les perles et le laurier-rose
par tes tempes étincelantes.
Tu auras tout, tu auras tout.
Je te donnerai les butins
de mon Asie profonde et chaude
………………………
Tu feras
verser du sang, fonder des villes,
ployer des rois, sécher des mers,
surgir des aurores
inconnues du fond des douleurs
inexpugnables. Tu auras.
Le monde tremblant dans le creux
de ta main comme l'alouette
dans le sillon avant le jour.

L'empereur croit à la conversion, in extremis, de son cher officier mais c'est le Galiléen qui l'emporte...

La nuit vient.
L'entends-tu ? La nuit rugit comme
une lionne, déchirant
les rets de ses nuages noirs.
La Louve a peur.

Mort, Sébastien séduit encore l'empereur, dont l'esprit s'obscurcit. Vaincu, exténué, plus mort que sa victime, Dioclétien ordonne encore, d'une lèvre incertaine, et dans son invincible tendresse pour le sacrifié :

Etouffez-le sous les couronnes,
étouffez-le sous les colliers,
sous les fleurs, l'or et la musique,
sous les désirs, l'or et les plaintes,
car il est beau.
Et le chœur syriaque gémit :
Il descend vers les Noires Portes.
Tout ce qui est beau, l'Hadès morne
l'emporte. Renversez les torches !
Eros ! Pleurez !

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