13 novembre 2005

film du samedi : MatchPoint
En quittant la « Grosse Pomme » pour Londres, Woody Allen fuit un conservatisme républicain malaisant autant qu'une carrière en panne d'inspiration depuis une décennie. Figés dans un comique répétitif, ses films ressassent une veine humoristique agréable mais désormais dénuée de surprise, en piochant dans le stock de ses productions d'antan. La duplication cède le pas à la création dans Match point où sa mise en scène gagne en densité et renoue avec la tonalité pessimiste de Crime et délits. Woody Allen offre au passage un bain de jouvence à son film : habitué à travailler la succession des plans et le cadrage, il nous fait la primeur d'un arrêt sur image puis d'un travelling latéral.
Mais s'il dynamite les codes esthétiques de sa réalisation, le cinéaste, en piètre voyageur (Tout le monde dit I love you est une de ses rares oeuvres tournée ailleurs que sur la côte est - à Venise et Paris, villes cinématographiques par excellence depuis Lubitsch) et en citadin maladif (il évolue presque exclusivement à Manhattan), filme Londres comme New York. Il déroule son glossaire géographique ordinaire, univers composé de musées, de théâtres et d'appartements chics. La Tate Modern n'y fait que remplacer le Moma, le Royal Opera le Met. Les villes se ressembleraient-elles toutes pour lui ?
Plus qu'un simple tour de passe-passe, le drame est affaire de géographie chez Woody Allen. La narration n'est que localisation et itinéraire. En empruntant l'ascenseur social, Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyer), professeur de tennis mal né, sème la pagaille dans un damier où les déplacements sont synonymes de perturbations. Mais comme au tennis, les règles de jeu les plus strictes ont leur faille : quand le hasard s'en mêle, un let peut vous offrir la victoire. Ambitieux sans être arriviste, le tennisman tourne le dos à une carrière professionnelle qui n'a jamais vraiment pris forme et se résout à enseigner dans un club de sport upper class. La chance est au rendez-vous : Chris se lie au riche Tom Hewett (Matthew Goode) avant d'embraser le cœur de sa sœur, Chloé (Emily Mortimer). Mais bientôt la belle mécanique déraille : le sportif s'éprend de Nola (Scarlett Johansson), petite amie en titre de Tom. Le drame est en marche et prend des accents dix-neuvièmistes.
Au fond, Match point est une histoire de roturiers pris dans les mailles de la haute société, un combat entre la raison sociale et la passion que Jane Austen n'aurait pas reniée. Les Américaines divorcées y sont sulfureuses, les jeunes gens sont des « fans » d'opéra. Scarlett Johansson, en clone de Véronica Lake, est ainsi le piège sensuel de cette fiction, femme fatale à la recherche de « sa prochaine victime ».
Ultime perversion du film ou bien passion de lecteur virant au mimétisme ? Chris empreinte les mêmes sentiers que les personnages de Dostoïevski, romancier dont il connaît l'œuvre sur le bout des doigts. Avant de s'abîmer dans le remords et l'irréparable, ses amours adultérines revisitent les affres passionnels du cinq à sept et autre week-end écourté grâce à l'alibi mensonger d'une secrétaire.
Film pessimiste et cruel, Match point signe le début d'une période anglaise aussi inattendue que brillante. Chris est le dernier né d'une longue lignée de héros masculins mais le premier à ne pas être la découpe psychologique du réalisateur. En l'isolant de sa caméra, Allen montre un désarroi viril qu'on ne lui connaissait pas.
Critique : Nicolas Bauche

1 commentaire:

  1. Anonyme10:51 PM

    Le compte rendu reproduit ici (sans l'autorisation de l'auteur et de l'éditeur) est tiré du site des Cafés géographiques (http://www.cafe-geo.net). Son URL est : http://www.cafe-geo.net/cafe2/article.php3?id_article=728

    Yann, webmestre du site des Cafés géographiques

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