14 juin 2010

bouquins



Sauvagerie-JGBallard

Qu’importe cette histoire éditoriale compliquée, ce court roman fait partie de ceux qui laissent une empreinte durable sur leurs lecteurs. Impressionnant d’intelligence et de maîtrise, Sauvageriedresse un constat effrayant sur nos sociétés paranoïaques. Écrit en 1988 sous Thatcher, pamphlet glacial contre la vidéosurveillance [généralisée depuis belle lurette au Royaume Uni] et la société sous contrôle, le plus raide des romans de Ballard est [aussi] une magnifique anticipation sociale, à ranger aux côtés de nos 1984 et Nous autres préférés.

Situé dans un présent immédiat, voire tout de suite, Sauvageriepart d’un fait divers sordide : le massacre des habitants d’une zone résidentielle modèle et la disparition de leurs enfants. Pour la police, le mystère reste entier. Certes, les caméras de surveillance installées un peu partout délivrent de précieux indices sur la façon dont les meurtres se sont déroulés [ce qui laisse toute latitude à Ballard de s’embarquer dans des descriptions vertigineuses], certes, les mobiles ne manquent pas, mais les inspecteurs peinent à trouver les motivations du ou des tueurs.
Qui a kidnappé les enfants et pourquoi ?

Dépassés par cet événement incompréhensible et sans précédent, les responsables de la police font appel à un psychiatre, Richard Greville, dans l’espoir qu’il porte un regard neuf et inédit sur la tuerie. Bien décidé à enquêter de l’intérieur, Richard Greville descend au plus profond de la vie quotidienne des victimes. Une vie facile, douce. Une vie aisée. Un vie déjà en réseau. Une vie sous surveillance constante. Une vie idéale où les enfants sont sages, où les parents sont infiniment compréhensifs. Et ce qu’il découvre n’est pas beau pour l’Angleterre. Pas beau du tout.

Vingt ans avant Edvige et autres Patriot Act, l’acuité de Ballard fait mouche. Et peur. Livre de chevet de nombreux éducateurs spécialisés, Sauvagerie se contente de pousser la logique libérale du Thatcherisme jusqu’au bout. Effrayant, clinique et passablement déprimant, ce livre est un antidote au triomphalisme occidental.

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