18 septembre 2010

Le Rêveur Illimité - In Memoriam J.G. BALLARD (1930-2009)

J.G. BALLARD (1930-2009)

« Je crois à mes obsessions personnelles, à la beauté de l’accident de voiture, à la paix de la forêt engloutie, à l’émoi des plages estivales désertes, à l’élégance des cimetières de voitures, au mystère des parkings à étages, à la poésie des hôtels abandonnées. »

« Le futur va être ennuyeux. La suburbanisation de la planète continuera, et la suburbanisation de l’âme suivra peu de temps après. »

Son nom demeure méconnu du grand public, peut-être même n'avez-vous jamais entendu parler de lui dans les médias, jusqu'à cette semaine et l'annonce de sa mort, ce dimanche 19 avril 2009. J.G. Ballard était cependant reconnu pour l'un des plus grands écrivains britanniques des quarante dernières années. Et son nom est lié au cinéma, entre autres à l'un des plus beaux films de Steven Spielberg, EMPIRE DU SOLEIL, adapté de son roman basé sur sa propre enfance en Chine occupée par le Japon. Fer de lance de la nouvelle vague de la science-fiction littéraire, critique impitoyable de nos sociétés modernes, J.G. Ballard avait développé un univers littéraire unique, où les technologies, les sociétés et les bouleversements de l’environnement affectent de manière irrémédiable la fragile psychologie humaine. À tel point que son nom a inspiré un nouvel adjectif dans le très sérieux Dictionnaire Anglais Collins : « ballardien ». L’auteur méritait bien donc un petit hommage dans ces pages !

Je prie les lecteurs et Ségolène Royal de bien vouloir m'excuser d'avance de certaines approximations, ou oublis éventuels, dans la petite biographie qui va suivre - les notices consacrées à la vie et l'œuvre de Ballard sur Internet sont parfois imprécises… J'ai aussi pioché certaines des citations de l’écrivain dans le livre de Lorris Murail, LES MAÎTRES DE LA SCIENCE-FICTION, de la collection Les Compacts, parue chez Bordas.

James Graham Ballard est né le 15 novembre 1930 à Shanghai, où il passa toute son enfance, vivant dans la colonie anglaise du Settlement International, “l'un des endroits les plus extraordinaires, les plus bizarres de la planète” comme il le dira plus tard. Fils d’un chimiste de la Calico Printers Assocation, devenu PDG de la filiale chinoise d’une grande entreprise textile de Manchester, China Printing and Finishing Company, le jeune Ballard n'a donc alors jamais connu sa mère patrie, l'Angleterre. Son roman EMPIRE DU SOLEIL (commencé 1980 et publié en 1984) est largement autobiographique. Le jeune “garçon anglais difficile” a bien connu les conditions terribles de la 2e Guerre

Mondiale après l'invasion du Settlement par les troupes Japonaises, juste après l'attaque de Pearl Harbour, en décembre 1941. Comme des milliers de concitoyens britanniques des colonies, Ballard fut interné en 1942 (ou 1943 ?) dans un camp de prisonniers près de Shanghai, à Lunghua. Cependant, il n’a pas été séparé de ses parents, comme le jeune héros du roman. Sur cette dure époque, le romancier a une vision pour le moins nuancée, entre l'innocence de l'enfance et la découverte d'une violence sans nom :

« J’ai des souvenirs… je ne dirais pas heureux… mais pas déplaisants du camp (…) Je me souviens beaucoup des brutalités et des violences qui avaient lieu - mais dans le même temps nous les enfants, nous jouions à mille et un jeux tout le temps ! »

Notons que c'est à onze ans que le jeune Ballard écrit son tout premier livre, demeuré inédit. Il avait pour sujet le contrat au bridge, un sujet qu'évoque l'interprète de Jim, le tout jeune Christian Bale, dans le film de Spielberg !

Après la fin de la guerre, il part pour l’Angleterre en 1946, et est vite choqué par la vie britannique qui lui paraît détachée des réalités, ce qui n‘a rien d‘étonnant, compte tenu du caractère du futur écrivain, tout juste sorti de dures années de détention. Il étudie à la Leys School de Cambridge, mais ne s’intègre pas aux autres étudiants. Ces années d'après-guerre sont difficiles pour le jeune Ballard, qui étudie par la suite la médecine au King’s College de Cambridge, mais qu'il ne pratiquera jamais. En 1951, toujours au King’s College, J.G. Ballard écrit pour un concours THE VIOLENT NOON, une histoire criminelle pastichant Hemingway et publiée dans le journal du campus.

Par la suite, Ballard étudie la Littérature Anglaise durant une année à l’Université de Londres, sans succès. Il y découvre la psychanalyse et le surréalisme qui le fascineront toute sa vie. Notamment les peintures de Dali, Magritte, Chirico, Ernst ou Delvaux, qui influenceront ses futures œuvres cataclysmiques regorgeant de vastes paysages désertiques et hostiles. En attendant, Ballard fait des petits boulots, comme rédacteur dans une agence de publicité et démarcheur en encyclopédies. Sur un coup de tête, il rejoint la RAF au Canada. À cette époque, il écrit sa première nouvelle de science-fiction, PASSEPORT POUR L’ÉTERNITÉ. En 1955, J.G. Ballard épouse Helen Mary Matthews, dont il aura trois enfants - dont une fille, Bea Ballard, productrice exécutive à la Télévision britannique.

Vers 1956, J.G. Ballard se met à écrire sérieusement et est publié pour la première fois par le magazine New Worlds : c'est la nouvelle PRIMA BELLADONNA. Jeune père, il gagne difficilement sa vie en travaillant dans une bibliothèque jusqu’à devenir rédacteur en chef d’une revue scientifique, Chemistry and Industry, en 1957. La famille s’agrandit, il part vivre à Shepperton dans la banlieue de Londres. Pendant ses 2 semaines de congés annuels, il écrit son premier roman et obtient un contrat avec Berkley Books.

Dans les années qui vont suivre, Ballard écrit plusieurs livres de science-fiction post-apocalyptique, où des catastrophes naturelles ravagent la planète entière : LE VENT DE NULLE PART, SÉCHERESSE, LE MONDE ENGLOUTI, et LA FORÊT DE CRISTAL, ainsi que beaucoup de nouvelles, les plus réussies étant rassemblées dans les recueils CAUCHEMAR A QUATRE DIMENSIONS, LA PLAGE ULTIME et VERMILION SANDS. Ces romans sont tout de suite très remarqués et appréciés des spécialistes, et sont désormais reconnus comme des œuvres majeures. Inondations, détraquement de la végétation, désertification… sont autant de thèmes qui gardent toute leur acuité prophétique quarante ans après la publication des livres. Son activité et son talent font de lui l’un des auteurs phares de la nouvelle science-fiction britannique, aux côtés de Brian Aldiss (LE MONDE VERT, le cycle HELLICONIA, et dont la nouvelle DES SUPERJOUETS POUR L'ÉTÉ est devenue au cinéma A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, autre œuvre mal connue de Steven Spielberg !), John Brunner (TOUS A ZANZIBAR, LE TROUPEAU AVEUGLE) et Christopher Priest (LE MONDE INVERTI, LE PRESTIGE).

Une tragédie personnelle touche J.G. Ballard au plus près en 1964, quand Helen décède d’une pneumonie. C’est vers cette même époque qu’il devient écrivain professionnel. Il s’intéresse aux techniques d’écriture expérimentale de William S. Burroughs (LE FESTIN NU), et collabore activement au magazine New Worlds de son collègue Michael Moorcock. Le style de Ballard évolue, passant de récits plus « classiques » de Fin du Monde à l’exploration de nouvelles angoisses, la description d’une société occidentale de plus en plus ravagée à chaque roman. Il écrit ainsi LA FOIRE AUX ATROCITÉS, étonnant livre-puzzle sans début ni fin, où le héros déboussolé change de nom à chaque chapitre. La culture médiatique de l’époque y est omniprésente, et sérieusement égratignée, avec des titres aussi évocateurs que « You : Coma : Marilyn Monroe », « Plan for the Assassination of Jacqueline Kennedy », « Love and Napalm : Export USA » et « Why I Want to Fuck Ronald Reagan », entre autres ! Ce dernier chapitre, véritable pamphlet visionnaire, alertait le lecteur sur les futures dérives médiatiques de nos chefs d’État, plus habiles à manipuler l’émotion des masses via les médias qu’à faire appel à leur raison et leur intelligence :

« Surtout, cela me frappa que Reagan fut le premier politicien à exploiter le fait que son public télévisuel n’écouterait pas trop attentivement, voire pas du tout, ce qu’il disait, et pourrait même très bien assumer d’après son attitude, et sa présentation, qu’il disait l’exact contraire des mots sortant de sa bouche. »



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