29 janvier 2011

Bouquin du we








Inigo ou l'éternité retrouvée


Il est cocasse de voir l'« Inigo » de François Sureau figurer à la vitrine du libraire entre les ouvrages de Mme Nothomb et de M. Houellebecq. Naguère, François Sureau, ancien énarque, ancien maître des requêtes au Conseil d'État, confiait au « Magazine littéraire » que notre temps souffrait d'un cruel déficit de spiritualité.

« Inigo » est une tentative pour remédier à cette carence. Car ce personnage (« Eneko » dans son Pays basque natal où il continue de susciter une fervente vénération) n'est autre qu'Ignace de Loyola, canonisé en 1622 et fondateur, comme chacun sait, de la Compagnie de Jésus.

À vrai dire, dans ce « portrait », ce n'est pas cet aspect de la vie du saint qui intéresse l'écrivain. En une sorte de postface intime, il nous confie qu'il n'aime pas spécialement les Jésuites, ni les ordres religieux, ni l'Église, les Églises, avec leurs rites et leurs pompes. Son portrait n'entend pas rivaliser avec la fresque de Rubens, à Gênes, ostentatoire et, pour l'auteur, rebutante. Lui, grave au burin une image aussi sobre que puissante.

François Sureau s'attache à un genre d'énigme dont il sait bien qu'il n'épuisera pas le mystère : la conversion. Comment un gentilhomme, un courtisan, nourri des romans de chevalerie, affamé de gloire, amoureux de tous les plaisirs (surtout ceux de la chair), un guerrier valeureux, épris de chevauchées, de coups d'épée, autant que de discussions, comment ce petit soldat noir de peau et de poil, mettant son orgueil et sa colère au seul service de son roi, promis à une belle carrière militaire, va-t-il, progressivement (la conversion d'Ignace n'est pas celle de Claudel, foudroyé derrière son pilier), se déprendre de tout ce qui n'est pas la liberté véritable et unique, profonde, inexprimable, celle de l'abandon absolu à la puissance de l'Amour ?

Un signe

Le boulet qui brise la jambe d'Inigo à la bataille de Pampelune (1521) n'est rien de plus qu'un signe, l'amorce d'un long et douloureux cheminement où alterneront, chez le pèlerin, les illuminations et les certitudes, les visions, les pleurs de joie et les moments de doute, de désespoir, la lassitude qui fait désirer la mort, l'indifférence et la sécheresse d'âme, l'« acédie » des mystiques.

Sureau s'appuie évidemment sur les écrits d'Ignace, essentiellement les « Exercices spirituels » auxquels il trouve une qualité littéraire, souvent niée ou négligée. Mais il est romancier. Sa description de la bataille de Pampelune - sauvagerie et confusion - est prodigieuse. Le séjour d'Inigo à Montserrat, ses errances d'ermite mendiant, si proche du lecteur, saisissent par leur vérité. De même, les silhouettes du rugueux compagnon d'armes à qui, la veille du combat, il entreprend de faire de ses débauches un aveu complet, ou celle de Dom Chanon, un Français, qui le confesse dans les règles, au monastère catalan, ne s'oublient pas.

Pas d'hagiographie dévote

François Sureau (même si la lecture de « La Légende dorée » joua un rôle dans la conversion d'Inigo) n'écrit pas une vie de saint, une hagiographie dévote. Il montre que le renversement d'un destin peut s'effectuer dans une manière de continuité (« L'appel de Dieu n'a pas contredit cette nature, mais l'a poussée, en la purifiant, à son point d'aboutissement »). Et il insiste sur un aspect des convictions du soldat de Dieu : la Création est sans cesse à l'œuvre, la Genèse n'est pas au début mais à la fin. Il compare ce combat spirituel à celui de Rimbaud : « Chaque instant sur la terre, chaque parcelle de temps, était comme un fragment lumineux de l'éternité. »

« Son portrait n'entend pas rivaliser avec la fresque de Rubens, à Gênes, ostentatoire et, pour l'auteur, rebutante »

À LIRE

« Inigo », de François Sureau, éd. Gallimard, 153 p., 12,50€.

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