04 novembre 2007

Bouquins

Novembre

C’est le temps des vacances, le temps du recul. C’est le temps de prendre le temps ; la maison est froide, elle nous rend ainsi la solitude dans laquelle nous l’avons laissée depuis les cris et les rires de l’été. La cheminée est encore pleine des cendres des derniers feux. La cour est remplie de feuilles mortes et les figues ont pourri à même la branche faute d'avoir pu être cueillies. L’abandon.

Le feu, le feu dans la cheminée va réchauffer et faire revivre tout cela. Les châtaignes vont crépiter, le vin va couler comme les heures délicieuses et calmes passées au coin du feu.

Et pus les livres, les livres emportés qui amèneront, là auprès de notre feu, des compagnons lointains, des compagnons d’encre et de mots.

PhilippeClaudel – Le café de l’excelsior

« Parfois, vers la tiédeur du soir, Grand-père en verve, juché sur cet autel brandissait une bouteille, et lançait de mystérieux propos que je comprenais mal. Son cœur débordait de trop de poésie que les spiritueux rendaient bafouilleuse dans sa bouche. Il esquissait quelques mots, poussait une chansonnette à l’énigmatique refrain puis finissait par se taire, un peu surpris. Ses compagnons emprisonnés dans leurs salopettes en bleu de chauffe, passée une certaine heure bien indéfinissable, auraient pourtant pu sans mal interpréter tous les oracles des pythies les plus hermétiques, mais Grand-père avait ses pudeurs et se retenait dans ses prophéties inspirées des alcools fruitiers ou bien encore des verjus d’Anjou".

Le livre posé, c'était comme un arrêt sur image, une langueur inénarrable et une envie de savourer encore ces petits moments d'enfance qui sont au final indestructibles. Quatre-vingt pages à consommer sans modération à l'ombre des tilleuls en fleurs en sirotant une menthe à l'eau bien fraîche ou pour ce qui me concerne, sur un large canapé, entouré de coussins, au coin d'un grand feu de cheminée. Juste le crépitement des flammes et cette tranche de vie partagée.

Sylvie Germain - Magnus –

" Magnus est un ourson de taille moyenne, au pelage très râpé, marron clair faiblement orangé par endroits. Il émane de lui une imperceptible odeur de roussi et de larmes. Ses yeux sont singuliers, ils ont la forme et le doré - un peu fané - de la corolle de renoncules, ce qui donne un regard doux, embué d’étonnement."

" Magnus est un homme d’une trentaine d’année, de taille moyenne, aux épaules massives, au visage taillé à la serpe. Il émane de lui une impression de puissance et de lassitude.Ses yeux, brun mordoré virant parfois à l’ambre jaune, sont enfoncés dans l’ombre des orbites, ce qui lui donne un regard singulier - de rêveur en sentinelle

" Les rêves sont faits pour entrer dans la réalité, en s’y engouffrant avec brutalité, si besoin est. Ils sont faits pour y ré-insuffler de l’énergie, de la lumière, de l’inédit, quand elle s’embourbe dans la médiocrité, dans la laideur et la bêtise ".

Philosophe de la mystique chrétienne , sa " quête littéraire et spirituelle " est centrée sur l’énigme du mal; dans son étrange univers, mi-concret, mi-sacré, imaginaire et mysticisme s’entremêlent avec une grâce subtile et une puissance créatrice parfois déroutante :

" Ecrire, c’est descendre dans la fosse du souffleur pour apprendre à écouter la langue respirer là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots ".

Magnus est l’histoire douloureuse d’un enfant qui a perdu la mémoire à l’âge de cinq ans pendant la seconde guerre mondiale : " Il ne lui reste aucun souvenir, sa mémoire est aussi vide qu’au jour de sa naissance ".
Il lui faut tout réapprendre; il porte le même nom que son ourson qui porte une étrange odeur de roussi car l’une de ses oreilles est brûlée… Le secret de cet ourson sera lentement dévoilé au cours du récit lorsque Magnus, à la recherche angoissante de son identité, va partiellement recouvrer la mémoire et lutter contre le mal incarné par son père.


– Ahmadou Komone - Allah n’est pas obligé

" M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre […] parce que je parle mal le français. Mon école n'est pas arrivée très loin ; j'ai coupé cours élémentaire deux […] parce que tout le monde dit que l'école ne vaut plus rien, même pas le pet d'une vieille grand-mère […] parce que même avec la licence de l'université, on n'est pas fichu d'être infirmier ou instituteur dans une des républiques bananières corrompues de l'Afrique francophone. […] Avant de débarquer au Libéria, j'étais un enfant sans peur ni reproche […], j'étais un enfant de la rue. Et quand on n'a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu'on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s'égorge, que fait-on ? Bien sûr on devient un enfant soldat. On m'avait dit le Libéria est un pays fantastique […] des choses merveilleuses. Là-bas il y avait la guerre tribale. Là-bas, les enfants comme moi devenaient des enfants soldats, qu'on appelle […] des small-soldiers. Les small-soldiers avaient tout et tout. Ils avaient des kalachnikov. Les kalachnikov, c'est des fusils inventés par un russe qui tirent sans s'arrêter. Avec les kalachnikov, les enfants soldats avaient tout et tout. Ils avaient de l'argent, même des dollars américains. Ils avaient des chaussures, des galons, des radios, des casquettes et même des voitures qu'on appelle aussi des 4x4. J'ai crié Walahé ! Walahé ! Je voulais partir au Libéria et devenir un enfant soldat… Tous les villages étaient abandonnés, c'est comme ça dans les guerres tribales : les gens abandonnent les villages où vivent les hommes pour se réfugier dans la forêt où vivent les bêtes sauvages. Les bêtes sauvages ça vit mieux que les hommes… Sanniquellie était une grosse agglomération à la frontière où on extrayait de l'or et du diamant. Malgré la guerre tribale, les commerçants étrangers s'aventuraient appâtés par les prix cadeaux de l'or. Les patrons associés qui sont les vrais maîtres des mines et de tout et tout habitent dans de vraies forteresses gardées par des enfants soldats armés jusqu'aux dents et toujours drogués. Totalement drogués… Foday Sankoh ne veut pas du deuxième tour des élections. La solution lui vint naturellement sur les lèvres : "Pas de bras, pas d'élections." Il faut couper les mains au maximum de personnes, au maximum de citoyens sierra-léonais ». Les amputations furent générales, sans exception et sans pitié."

il y a juste la réalité. On ne ressort pas de cette lecture indemne, on ne comprend toujours pas comment on a pu en arriver là, mais on commence à voir ce qui transforme des enfants en soldats.


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