29 juillet 2010

Bouquins

Volker Kutscher











Le poisson mouillé (2008) édité au Seuil (2010)
Dans le Berlin de la fin des années 20, un jeune commissaire ambitieux tente de rejoindre les rangs de la Criminelle en enquêtant en solo sur le meurtre d'un homme qu'il avait rencontré une nuit.

Berlin est une ville carrefour tout à fait fascinante et l'est plus encore dans la période que Kutscher a choisi de reconstituer, dans ce gros roman historique qu'est Le poisson mouillé. Les groupes extrêmes, qu'ils soient nationaux-socialistes ou communistes, s'y livraient à un dangereux jeu de surenchères, parfois réelles, parfois fantasmées par l'autre, sur le fond de l'humiliation née d'une défaite que personne ne reconnaissait et l'échec de la prise de pouvoir spartakiste qui avait suivi la capitulation.

L'atmosphère survoltée, mais aussi souterraine de la capitale est rendue de façon parfaitement crédible par l'auteur. Comme dans les autres cités d'Europe, certains y cherchent alors l'oubli et l'enivrement permanent dans des fêtes et des substances dont la rigueur prussienne ne pouvait se satisfaire.

Cette ville aux mains des factions, politiques ou criminelles, voit les bars et bordels clandestins fleurir sous le regard plus ou moins complice des autorités, d'abord occupées à contenir la menace des plus pauvres. Kutscher reconstitue bien les mentalités antagonistes en présence, la défiance ouvrière à l'égard du pouvoir social-démocrate en place et de sa police, prompte à dissimuler ses responsabilités dans le sanglant et absurde premier mai que fait excellemment revivre l'auteur. Mais aussi l'exigence d'ordre, le respect de la discipline, l'idéal de grandeur ou l'absence d'éducation politique, socle sur lequel se greffent ici les idées revanchardes de cette armée humiliée qui s'organise dans l'ombre. Toute la fragilité de Weimar se retrouve ici, quelques semaines avant la débâcle économique. On mesure ainsi parfaitement comment les esprits seront bientôt prêts à faire un triomphe aux chemises brunes de l'hitlérisme, dont on se gaussait encore quelques années auparavant lors du putsch manqué de Munich.

C'est en tout cela que Le poisson mouillé est intéressant, plus que dans sa partie romanesque qui mélange enquête criminelle, récit d'aventures et espionnage. Pourtant celle-ci avec son trésor, sa comtesse, ses tueurs, ses corrupteurs et ses corrompus, permet de mettre en valeur les luttes entre les différentes cliques russes et l'éternel jeu trouble de la criminalité organisée. Elle anticipe même les grandes histoires d'espionnage de la Guerre froide qui planteront leurs décors dans la capitale défaite du Reich.

Arriviste, individualiste, manipulateur et cocaïnomane, Gereon Rath, le plutôt antipathique héros du Poisson mouillé, est à l'image de cette complexité.
Illustration de cette page : Joseph Goebbels, Gauleiter de Berlin.





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