30 juillet 2010

Bouquins



Empereurs des ténèbres
Ignacio del Valle

Le livre s'ouvre sur une image d'une beauté terrifiante : des chevaux pris dans les glaces de la rivière Slavianka, près de Leningrad, figés dans leur course, tel un gigantesque jeu d'échecs marmoréen. On pense à Malaparte qui décrivait, dans Kaputt, la mort d'un millier de chevaux poussés par un incendie de forêt dans les eaux du lac Ladoga pendant l'hiver de 1942. Et l'ambiance est la même, crépusculaire, fantomatique, une sorte d'opéra de fin du monde, façon Apocalypse now. Nous sommes, cette fois, à l'hiver 1943, sur le front russe, au sein de la division Azul, celle des volontaires espagnols, franquistes et phalangistes, poursuivant leur « croisade contre le communisme » aux côtés de l'armée allemande. Dans la rivière gelée, au milieu des chevaux aux yeux affolés, des hommes ont retrouvé le corps d'un soldat de la division, la gorge tranchée, portant sur le torse cette inscription gravée au couteau : « Prends garde, Dieu te regarde ».

Commence alors, dans un brouillard de mort, une étrange enquête, menée par un ex-lieutenant dégradé pour de mystérieuses raisons. Comment faire surgir la vérité dans ce monde où chacun est en délicatesse avec son passé et ses illusions ? A quoi riment une enquête et l'idée même de justice dans un monde dominé par des hordes de SS au regard vide ? Que valent l'innocence et la culpabilité quand le crime a pris le pouvoir ? Chaos de l'hiver russe, de la guerre et de l'Histoire, débâcle des valeurs et de la civilisation saignée à blanc par une armée de morts-vivants, Ignacio del Valle, jeune écrivain surdoué, brosse un fascinant portrait de l'enfer qu'il a fait précéder de cette citation de Jack l'Eventreur : « Un jour les hommes se tourneront vers le passé et diront que le XXe siècle est né avec moi. »





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