04 septembre 2010

Raisins de la colère



C'était il y à longtemps. C'était quelque part dans l'Amérique de la crise.
L'Amérique de la faim. Une Amérique où les hommes erraient par milliers à la recherche d'un jour, d'une heure de boulot, d'un quignon de pain. De ville en ville, dans les campagnes desséchées par le dust bowl, dans tout le pays.
C'était la grande dépression. Les cultures anéanties, la sécheresse.
Tom et Jim, appelons-les ainsi, ces prénoms leur vont bien, ce sont les prénoms de tout le monde, les prénoms qu'ils auraient pu porter. Ils ne se connaissent pas. Du moins pas encore. Comme tant d'autres, Ils sont chassés de chez eux. Avec ce qui leur reste encore, peut être juste ce qu'ils portent sur le dos, ils prennent la route, la 66. Ils espèrent que la situation s'arrangera, là bas en Californie, grâce aux feuillets qui sont distribués un peu partout qui vantent l'éternel Eldorado. Ils pensent que, là-bas, ils gagneront assez d'argent pour survivre, vivre, revivre.
la route est encombrée. Ils sont des milliers, des milliers de Tom et de Jim partant pour la Californie, qui empruntent jour après jour la route 66 ; en charrette, à bicyclette, à pied, comme ils peuvent.

Un camp de fortune dressé au bord de la route. Tentes balayées par le vent, poussière, qui s'engouffre partout, dans les moindres replis des vêtements, du corps, poussière qui recouvre tout. Amaranthes virevoltantes et enfin le bruit, le bruit du vent, sec, chaud. Sinistre sifflement. Ils se voient. parmi les pauvres hères, ombres fantomatiques dans la poussière qui les enveloppe. Ils se voient, ne se connaissent pas mais se reconnaissent. Ils ne connaissent pas mais en un instant tout autour d'eux disparaît, le temps se fige. Maintenant, ils sont liés à jamais. Qu'importe maintenant d'où ils viennent, ce qu'ils ont vécu, maintenant leurs destins sont liés. Bien sûr ils ne comprennent pas ce qui arrive, pas encore. C'est trop fort, trop...inconnu, indescriptible. Il n'ont pas de mots pour cela. Pas de mots pour expliquer pourquoi dès ce premier regard échangé, l'un ne sera plus sans l'autre.






Bien sûr cela ressemblera d'abord à de la camaraderie, de l'amitié. Ils feront route ensemble, ils partageront le pain, les cigarettes, le poids quotidien de la misère. Mais quelque chose, s'installe déjà au creux des reins, quelque chose de monstrueusement fort, comme un besoin insatiable, une envie, un manque physique dès que l'autre s'éloigne.






Ils feront route ensemble vers l'eldorado, le travail, le bonheur? Route interminable, brûlante, épuisante. Et puis un jour, après tant de solitude, tant de malheurs, tant de larmes partagés. Après tant de combats gagnés ou perdus, le réconfort ira plus loin. La main qui sèche la larme, s'attardera, le regard se voilera, les bouches se rapprocheront.



Des gestes maladroits, violents parfois suivront, les gestes de la passion, d'une passion trop longtemps, trop durement contenue.
Longtemps ils se refuseront à comprendre ce qui se sera passé et ce qui se passera encore. Puis bien avant "brokeback", ils porteront haut cette force fusionnelle qui les habitent et les porte. Ils la porteront, le regard fier à travers ce monde emporté par la misère, la violence, les combats solitaires pour la survie.

Bien sûr tout cela est inventé, mais, touché, ému par ces deux garçons, la force avec laquelle ils semblent narguer le monde, m'a donné envie de leur donner vie, leur donner une histoire.
Voilà.








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