03 octobre 2010

Habité





Lumière intérieure (par Éric Neuhoff)

Des saints, il faut le dire vite, mais quels hommes ! On en croise assez peu d'une telle étoffe. Dieu a rayé en eux toute velléité d'ambitions mesquines. Leur monastère est perdu dans l'Atlas. Ils soignent les corps, n'essaient pas de convertir les villageois. La peur, le doute ne leur sont pas toujours étrangers. Autour d'eux, les extrémistes égorgent à tout va. Partir ? Ce serait renoncer à ce qui les fait tenir debout. Ils ne vivent pas que de silence. Les chants liturgiques parsèment leur emploi du temps. Cela constitue une sorte de résistance, des paroles qui risquent de ne pas s'envoler complètement. Un hélicoptère de l'armée s'immobilise au-dessus de la chapelle et les cisterciens répondent au fracas du moteur en entonnant un psaume. Leur cœur est immense : il est tout sauf vide.

Michael Lonsdale, souverain, explique à une adolescente ce que c'est que l'amour. La grandeur est faite de petites choses. La noblesse se conjugue au quotidien. Ils récoltent du miel, opèrent un terroriste criblé de balles. La situation devient compliquée. Les menaces se précisent. Face aux mitraillettes et au chantage de ses agresseurs barbus («Vous n'avez pas le choix»), Lambert Wilson répond, avec une sérénité imparable : «Si, j'ai le choix». Il est habité, presque minéral. Il s'agit d'un suspense à rebours, puisqu'on connaît le dénouement. Beauvois s'inspire des martyrs de Tibéhirine. Le film participe du miracle. C'est comme si chacun, là-dedans, était porté par une lumière intérieure. Elle éclaire le spectateur, confondu par des personnages aussi singuliers. Une étrange paix baigne la salle. Soudain, on a l'impression d'avoir une âme. On plaint les gens qui, tel le jury cannois, passeront à côté de ce pur moment de grâce. Parfois, le cinéma réussit à être un art. Il y a des jours où ce qui arrive sur l'écran semble plus important que ce qui peut se produire à l'extérieur. Comme La 317e section, Des hommes et des Dieux appartient à la catégorie des films parfaits, uniques. Comment oublier l'image de ces moines, assis à une grande table, qui écoutent Le Lac des cygnes en buvant du bourgogne dans des verres en pyrex ? À la fin, il neige. Encadrés par leurs ravisseurs, ils s'enfoncent dans la blancheur. Ils sont ailleurs. Rien ne peut plus les atteindre. Ils ont gagné. Amen.

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