29 septembre 2007

Bouquins


Quand les murs parlent


Lutetia : le sujet est aussi beau que le palace qui, à l'angle du boulevard Raspail et de la rue de Sèvres, dans le 6e arrondissement de Paris, accueille stars de cinéma et patrons de presse.

Moins convaincant lorsqu'il se fait romancier, Pierre Assouline a pourtant choisi la fiction pour faire revivre ce lieu d'ombres au passé chargé. Mais l'auteur de biographies remarquables (Albert Londres, Hergé, Georges Simenon...) a mené une enquête historique sérieuse et puisé dans des archives inédites pour faire parler les murs.


C'est Edouard Kiefer, un ancien inspecteur principal de la PJ devenu détective de l'hôtel Lutetia, qui tient la plume. Témoin privilégié, il raconte ce monde de l'avant-guerre. Il explique comment Madame Boucicaut, propriétaire du Bon Marché, eut l'idée de faire construire l'hôtel - qui ouvrira ses portes en 1910 - "afin que ses importants clients de province fussent logés dans un établissement tout proche et correspondant à leur train de vie, quand ils venaient faire leurs courses à Paris".

Fréquenté par Matisse, Peggy Guggenheim, Gide, Joyce, ou encore Roger Martin du Gard, le Lutetia accueille également Saint-Exupéry qui, chaque fois qu'il avait des problèmes de loyer avec ses propriétaires, y prenait une chambre avec sa femme, Consuelo. Ou plutôt deux chambres, ce qui n'empêchait pas leurs engueulades multiples et bruyantes. Entre fin 1935 et début 1936, Albert Cohen y écrivit son roman-monument, Belle du Seigneur, dix ans après y avoir lancé la Revue juive avec le docteur Freud et le professeur Einstein...

PETITS ARRANGEMENTS

Et puis... le 14 juin 1940, Paris capitule. Dès le lendemain, l'hôtel est réquisitionné par l'Abwehr, les services de renseignement et de contre-espionnage de l'occupant, qui y installe leur QG. "La réquisition du Lutetia par les Allemands n'avait épargné personne. Les serveurs servaient, les gouvernantes gouvernaient (...) Comme toute la France, ou presque." Alors on s'accommode, on ferme les yeux sur la torture qui, cruel euphémisme, se cache sous le terme d '« interrogatoire forcé". L'heure est aux petits arrangements avec sa conscience, et, alors que « la passivité est déjà un engagement », Edouard Kiefer pose cette question qui sous-tend tout le livre : "Jusqu'où un homme peut-il aller sans perdre son intégrité ?"

A la Libération, le Lutetia est cette fois réquisitionné par le général de Gaulle, et accueille les déportés à leur retour des camps. Aujourd'hui, si une plaque (très discrète) posée à l'extérieur de l'hôtel rappelle cet épisode, beaucoup ont oublié les fantômes qui ont hanté ce lieu à l'atmosphère si feutrée... Lieu des guerres artistiques et amoureuses, littéraires et littérales, Lutetia est le vrai héros - parfois malgré lui - de ce texte. Rumeurs, disputes, mondanités, petites habitudes des grands de ce monde, Pierre Assouline dit les petites et grandes histoires.

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