Jonas Kaufmann, une voix en or toute au service de Schubert
Mais Jonas Kaufmann, remis, a honoré ce rendez-vous-ci, qu'un Théâtre des Champs-Elysées archicomble et sur les charbons ardents attendait. Un public composé d'élégantes, de "peoples" et de nombreux et sincères mélomanes. Mais un public bruyant : entre chaque lied de La Belle Meunière, de Franz Schubert, des salves catarrheuses le disputaient à des "chuts !" aussi tonitruants. Et puis, dans cette électricité ambiante, peu en osmose avec la délicatesse du cycle schubertien, on sentait l'auditoire prêt à déborder d'enthousiasme.
De sorte que, le dernier lied - tout de mélancolie morbide, chanté dans une sublime nuance pianissimo - à peine achevé, les spectateurs se sont vautrés dans une marée de "bravos !" sans même attendre la fin de la résonance du dernier accord joué par le pianiste Helmut Deutsch (accompagnateur scrupuleux mais court de son et sans génie). Le chanteur a eu alors un léger froncement du front et un demi-sourire où la résignation et le dépit n'étaient pas absents.
Jonas Kaufmann est beau, grand, mince, intelligent, il a une voix en or, est musicien comme peu de ténors le sont. Autant dire qu'il a tout pour lui. Son emploi du temps est effrayant, et il n'est pas rare qu'il jongle habilement - parfois moins habilement, ce qui le contraint à des désistements - entre opéras, concerts avec orchestre et récitals avec piano sur tous les continents.
Aussi subtil qu'éclatant
Certains observateurs, alertés par ses annulations, craignent pour sa voix, sa "durabilité" dans un métier où les ténors résistent moins bien que d'autres tessitures à la surchauffe. Mais la technique de Jonas Kaufmann est remarquable, la voix saine, ce que montre, mieux que tout autre exercice, celui, implacable, du récital : trois jours après une grippe, la voix est intacte (on a cru, après quelques lieder, déceler une fatigue des cordes vocales : il ne s'agissait apparemment que d'un "chat" dans la gorge) et les risques qu'il prend avec les nuances sont extraordinaires.
Le souffle et la ligne de chant sont d'une telle sûreté qu'ils lui permettent d'y poser, avec une belle liberté, les mots, prononcés dans une diction claire et intelligible. On peut juste regretter que le ténor abuse des sons couverts, qui sonnent parfois comme "baillés" (certains spécialistes de l'opéra le lui reprochent dans le répertoire italien et son nouveau disque, consacré au vérisme, chez Decca, est déjà l'objet de débats) et qu'il ait davantage de nuances que de couleurs dans sa palette vocale. Mais ce ne sont probablement que broutilles au regard d'un talent aussi subtil qu'éclatant.
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