13 mars 2011

Bouquin


Après Un garçon parfait (prix Médicis étranger 2008), puis Leçons particulières, Une autre époque clôt la trilogie de l'écrivain suisse germanophone Alain Claude Sulzer sur les thèmes des passions interdites, des secrets et des silences ambigus. Le narrateur, un adolescent, s'attarde un jour sur l'unique photo de son père, Emil, qui se suicida quelques semaines après sa naissance, en 1954. Lui prend soudain l'envie d'en savoir plus sur cet homme, sur la montre qu'il porte au poignet, sur le photographe qui prit le cliché. Une rapide enquête lui révèle que ce dernier vit encore, à Paris. Il décide alors de fuguer, de quitter la Suisse pour partir sur les traces d'un passé dont il ignore presque tout. Dès les premières heures dans la capitale française, ce garçon un peu timide se sent com me libéré, indépendant, pris de vertige. L'écriture élégante d'Alain Claude Sulzer épouse parfaitement le rythme d'une quête elliptique. Refusant le commentaire, l'écrivain s'attarde sur des gestes, des attitudes, des sensations. Il change de point de vue, quittant la voix du fils pour raconter, à la troisième personne, l'existence d'Emil et son trouble récurrent devant les corps des jeunes hommes. Il décrit la rencontre d'Emil et de Veronika, fondée sur un malentendu - elle est amoureuse, il est soulagé de se marier pour entrer dans « une vie normale ». Puis, conservant un ton feutré, l'auteur suggère le désir interdit d'Emil, les amours clandestines, les mensonges. Le roman en devient oppressant, comme sont oppressés les narrateurs, père et fils, dévastés par l'épaisseur des silences autour d'eux. Alain Claude Sulzer parvient, dans chacun de ses livres, à recréer une époque, une histoire sociale derrière la fiction sentimentale. Un garçon parfait se déroulait en 1933 dans un palace suisse dont les clients fuyaient l'Allemagne nazie. Leçons particulières évoquait le temps du rideau de fer. Ce troisième roman brosse un tableau glaçant des années 1950, dans une Europe qui traite les homosexuels comme des malades pervers qu'il faut soigner dans les hôpitaux psychiatriques. Traversé par la mélancolie, ce texte contrôlé et remarquablement déroutant refuse aussi bien le sentimentalisme que le militantisme.

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